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Une tête, mais pas de corps
5 février 2014

3. L'éducation par l'intellectuel

Mes parents étaient enseignants. Ce sont des chrétiens de gauche. Militants syndicaux et politiques au PS. Dotés de fortes convictions sur la laïcité, la solidarité… Amateurs de discussions intellectuelles avec leurs amis. Friands de découverte. Mon père est passionné d’histoire, lecteur quotidien du Monde, croyant mais anti-clérical, rêvant d’une église réformée qui donnerait le droit de mariage aux prêtres et abolirait l’enseignement confessionnel. Engagés dans des associations (pour la lutte contre la faim dans le monde ou l’aide aux migrants clandestins, par exemple). Tolérants, dévoués aux autres… Des gens bien, quoi. Toutes ces valeurs et cette ouverture d’esprit ont été l'unique essence de mon éducation, à ma sœur et moi. Nos parents nous ont offert un bagage culturel lourd : cours de musique, catéchisme, nombreuses vacances riches en visites de monuments…

Ils nous ont surtout poussées à être brillantes dans nos études, les faisant passer avant tout le reste, avant les copines, avant les loisirs, avant la télé. Le travail scolaire était sacré. Pendant de nombreuses années, chaque soir, nous nous installions à quatre dans la salle à manger. Mes parents faisaient leur «prep» (le planning de leur prochains cours) et corrigeaient les cahiers de leurs élèves. Ma sœur et moi faisions nos devoirs. Plus grandes, ma sœur et moi avons pris l’habitude de travailler dans nos chambres mais l’assiduité n’a pas changé. Nous avons conservé cette méthode enseignée par nos parents : celle de l’organisation, du respect des consignes, du calme et de la concentration. Je n’ai jamais écrit une rédaction en urgence ni appris une leçon au dernier moment. 

Mes parents m’ont appris aussi l’ordre et le sens de l’autorité. Je n’ai jamais triché, presque jamais menti… J’ai très peu de souvenirs de conneries de gamine… Ah si, je me rappelle avoir, malgré l’interdiction, acheté des chips à la sortie de la piscine le dimanche matin et être arrivée sans appétit au déjeuner, ce qui était précisément l’issue que ma mère voulait éviter… L’autre engueulade la plus mémorable infligée par mes parents s’est passée un après-midi où j’étais restée seule à la maison. Un ouvrier a sonné affirmant devoir inspecter la chaudière, je lui ai ouvert le garage et je l’ai laissé faire. A leur retour, mes parents ont hurlé qu’il était le concurrent de leur chauffagiste habituel, qu’ils ne l’avaient jamais embauché et que je ne devais pas ouvrir à un inconnu, de toute façon. J’étais pétrifiée de honte et je me souviens encore précisément aujourd’hui de ce sentiment d’avoir déçu mes parents et d’avoir fait quelque chose de très mal. Et pourtant, ce n’était rien, vraiment rien !

En dehors de ça, je n’ai pas fait les conneries que faisaient les filles de mon âge. Pas inventé de bobards pour aller chez une copine, pas fait le mur, pas volé de maquillage… Mes parents m’avaient appris à ne pas perdre le contrôle, à ne pas franchir les interdits. Je n'ai donc pas essayé de fumer, ni de boire… J’ai décidé que je n’aimais pas la fête foraine, que je n’aimais pas le carnaval, que je n’aimais pas les boums. J’ai aussi refusé de faire grève au lycée parce que la rébellion me semblait «mal». J’ai séché mon premier cours à l’âge de 22 ans ! 

Obéir, respecter les règles, ne pas entraver le système. C’était naturel pour moi. Ces valeurs, je  les classerais volontiers à droite, aujourd’hui! Elles dénotent presque par rapport au profil de mes parents. Plus tard, j’ai essayé de les analyser. Je crois que mes parents ont été élevés dans la peur. Nés en 1940, ils ont passé leur petite enfance dans l’ère de la guerre. Je crois qu’inconsciemment, mes parents ont acquis très tôt un instinct de surprotection. 

Bref, au long de mes études, j’ai été assidue, brillante, bardée de bonnes notes, louée par les profs, un peu jalousée par les camarades. Définitivement classée première de classe. Ça m’a doté d’un bon cerveau, intelligent, rapide et perspicace. Ça m’a guidé tout droit vers un bon métier que j'aime. Ça a fait de moi quelqu’un de bien, intellectuellement parlant. 

Quand j'ai raconté tout ça à une psy, il y a quelques années, elle m'a dit cette phrase que je n'oublierai jamais : "Vous avez été éduquée comme si vous aviez une tête et pas de corps".

 

 

 

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